mercredi 10 mars 2010

"Ne pas signaler un enfant maltraité, c'est être complice"

Je rappelle au passage que ne pas dénoncer, quand on a un sérieux doute, c'est devenir complice et c'est passible de sanction par la loi.

Par Alexandra GUILLET, le 09 mars 2009 à 06h00, mis à jour le 09 mars 2009 à 14:42

Interview Comment un parent peut-il craquer et en venir à maltraiter son enfant ?

Que faire si l'on est face à une telle situation?

Les réponses de Gisèle Doutreligne, responsable de "Allo, enfance maltraitée"

LCI.fr : Ces derniers jours, deux affaires de maltraitance ont fait la Une de l'actualité. En Moselle, une mère a poignardée sa fille de 10 ans, et à Millau, un couple a été écroué pour avoir séquestré plusieurs années, Dylan, leur petit garçon de 7 ans. Les cas de maltraitance sont-ils en augmentation ?

Gisèle Doutreligne, responsable du 119, numéro d'appel d'Allo Enfance Maltraitée : Est-ce qu'il y a plus de cas qu'avant ou est-ce que ces situations sont simplement davantage connues ?
C'est difficile à dire.
Nous nous n'avons que les chiffres liés aux appels faits au 119.
Ils ne reflètent qu'une partie de la réalité.

En 2008, nous avons reçus plusieurs centaines de milliers d'appels qui ont abouti, après analyse de notre part, à 6300 transmissions de signalements aux conseils généraux (contre 6500 dossiers transmis en 2007).

Cela concernait en tout quelque 10 000 enfants. Charge ensuite aux départements de faire suivre soit au procureur soit aux services sociaux compétents.


LCI.fr : Avez-vous un retour d'informations par rapport aux signalements que vous faites ?

G.D. : Bien sûr car c'est très important pour nous et si jamais nous n'avons pas de retour, c'est nous qui relançons les services concernés pour savoir ce qu'il en est. Si on prend l'année 2007, par exemple, sur 6500 signalements, nous avons eu 80% de retour. Dans 65% des cas, ces dossiers ont donné lieu à une mesure nouvelle. Dans 15% des cas, les situations étaient déjà connues et ont donné lieu à un travail de consolidation.

Dans 20% des cas, aucune mesure particulière n'a été prise.

LCI.fr : Qu'est-ce qui fait qu'un jour un parent pète les plombs et passe à l'acte ?

G.D. : C'est extrêmement complexe. 

D'abord, il y a des parents sadiques, qui prennent plaisir à faire souffrir leur enfant. 

C'est heureusement une minorité mais cela existe.

Mais dans la majorité des cas, il s'agit de parents qui n'arrivent pas à se contenir. Tout parent excédé peut avoir envie de jeter son enfant par la fenêtre. Le penser c'est normal, le faire, en revanche, ne l'est pas. Ce qui le font sont souvent fragilisés pour une ou plusieurs raisons. Ce qui revient le plus, c'est la solitude. Il s'agit souvent d'un parent isolé de son contexte social et familial. Isolé ne veut pas forcément dire célibataire, mais plutôt qui n'a pas de parents, ni de frère ou de sœur ou de proches amis autour de lui qui puissent le relayer quand il est fatigué. C'est l'isolement aussi dans le regard que son entourage peut porter sur ce qu'il fait avec son enfant. Quand on a un entourage étayé, il y a une régulation interne qui se fait naturellement. On peut dire tiens là "tu lèves la main un peu fort", "moi je ferai comme ceci" etc... Mais s'il n'y a pas cet accès à la famille et à l'enfant, c'est là que c'est dangereux.
LCI.fr : La France traverse une période de crise, le chômage remonte. Cela peut-il être un facteur aggravant ?
G.D. : En soit, les difficultés sociales, familiales ou de précarité n'entraînent pas de la maltraitance sur un enfant. Il faut être bien clair là-dessus : ce n'est pas parce que l'on se retrouve au chômage qu'on va tomber dans la violence. Mais cette situation peut être un facteur aggravant dans la mesure où cela créé de l'amertume, des difficultés à boucler les fins de mois. Certains perdent leur appartement. La quintessence pour une famille, c'est de se retrouver en hôtel meublé. C'est tout petit, c'est la promiscuité, il n'y a plus d'intimité. Tout est là pour que l'on s'exaspère mutuellement.
LCI.fr : Qui vous appelle ?


G.D. : Si on prend le deuxième semestre 2008, sur 14 500 appels, 31,5% (4576) émanaient d'un père ou d'une mère en détresse. Cela fait 19 ans que le 119 existe. Nos équipes de psychologues et de médecins les conseillent en direct pour les empêcher de passer à l'acte quand ils sont épuisés. Si on sent que la situation set trop critique, nous envoyons sur le champ la police, sinon, on met en place en urgence un suivi avec le département. Après les parents, ce sont les grands-parents qui appellent le plus (7,84). Les beaux-parents représentent 1,9%. Viennent ensuite les oncles et tantes, les voisins, les instituteurs etc...


LCI.fr : Dans une interview récente, Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille, disait que depuis le mois de juin dernier, 30 enfants sont morts sous les coups de leurs parents. C'est effrayant...

G.D. : Ces chiffres sont peu médiatisés, voire tabous.

Je ne les ai d'ailleurs pas, mais je suppose que madame Morano les a de source bien informée. On sait que la famille est le lieu de protection de l'enfant, 
mais aussi le lieu privilégié pour la maltraitance. 

Comme la vie privée est très protégée, et à juste titre, c'est très difficile d'intervenir en son sein.


LCI.fr : Où commence la maltraitance ?

G.D. : Je parlerais plus de dangers. 

Plusieurs sont prégnants : violences psychologiques et physiques, négligences graves, et violences sexuelles.

Une négligence grave, c'est être dans l'impossibilité de pourvoir aux conditions de base d'un enfant. Ne pas le nourrir, ne pas l'habiller comme il faut en fonction des saisons, ne pas le scolariser, ne pas respecter son sommeil, etc...

Les violences psychologiques, cela peut être des vexations permanentes ou la privation de la lecture personnelle de son courrier ou le dénigrement systématique de personnes aimées de l'enfant. 

Mais attention, il est important que tous ces gestes soient remis dans leur contexte et analysés au regard de l'âge de l'enfant.
On ne doit pas frapper un enfant, mais mettre une gifle à une jeune fille de 16 ans qui vient d'insulter gravement sa mère n'est pas à mettre en perspective avec un enfant de trois ans qui aurait fait une bêtise.

LCI.fr : Si une personne a des doutes sur un enfant, qu'il soit de sa famille ou de son immeuble par exemple, que doit-elle faire ?

G.D : Il faut qu'elle appelle ! Signaler ce n'est pas dénoncer, c'est protéger.

La personne qui appelle va dire ce qu'elle a vu ou entendu. 

Avec les éléments qu'on nous donnera on sera capable de savoir rapidement s'il s'agit d'un voisin qui veut se venger (mais c'est très rare), ou s'il y a peut-être un vrai problème et que la personne qui appelle a peur d'en parler directement avec les parents concernés. 

Je rappelle au passage que ne pas dénoncer, quand on a un sérieux doute, c'est devenir complice et c'est passible de sanction par la loi.


Par Alexandra GUILLET le 09 mars 2009 à 06:00

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